dimanche 7 janvier 2018

JEU 32 : Aminata

 
 
 
Quand Lucia me fit rencontrer Aminata, la petite Burkinabée qu’elle hébergeait pour un temps, en attendant que celle-ci puisse se faire opérer du cœur, c’est le soleil d’Afrique qui pénétra à flot par les écoutilles de la maison. Quelle expérience prodigieuse !
 Ses grands yeux noirs, profonds comme des lacs, observaient le monde avec ébahissement. Elle allait comme de miracle en miracle. Dans la salle de bains, ses petites mains d’ébène couraient sur le carrelage rose, effleuraient les flacons, les fioles, les serviettes bouclées... La baignoire et les lavabos ne laissaient pas de l’étonner. Par quelle magie l’eau, si précieuse, si rare, pouvait-elle jaillir ainsi en gerbe ni trop chaude ni trop froide, simplement en tournant ces boutons d’opale argentée ?
Alors que dans son village, le seul puits enchâssé dans la poussière grise n’offre qu’un peu d'eau boueuse où bêtes et gens s’abreuvaient et se lavaient ensemble.
 Il lui semblait décrocher la lune à chaque tour de robinet.
Dans la chambre elle toucha à tout, les livres, les rideaux légers comme un souffle, le lit moelleux. Elle tourna la clé d’un tiroir de la commode pour y découvrir les frivolités de satin et de soie.
Elle tomba en arrêt de longues minutes, grave comme une papesse, devant le portrait d’Arthur Rimbaud accroché dans l’entrée…elle qui ne disposait que d’un seul livre usé, comme tout bagage culturel, et le souvenir de choses affreuses qu'une petite fille ne devrait jamais vivre.
Au parc où nous l’emmenâmes en promenade, les occasions d’émerveillement fusèrent. Les poneys tirant leurs petites carrioles de bois peint, les tours de manège réglés comme du papier à musique, le marchand de gaufres et de pommes d’amour, luisantes et vermeilles. Et les pelouses, ah ! Les pelouses douces et si vertes… et la gloriette couverte de chèvrefeuille odorant, et le lac aux bernaches et la statue d’albâtre d’Hermès…Tout l’enchanta. Son sourire m’éblouissait.
Au café Anglade, nous prîmes un chocolat chaud, et son ravissement éclata en perles : on eût dit des tintements de grelots dans la montagne. 
Petite Aminata à la peau de velours sombre, par ta joie de vivre tu nous as fait réfléchir. La vie ne t'a pas fait de cadeau, à la misère elle a ajouté cette défaillance cardiaque. Soudain je me suis sentie presque vaguement honteuse de cette chance inouïe que nous possédons de vivre ici, d’avoir accès à tant de belles choses qui nous semblent si naturelles, quand toi, et les tiens, attendez toujours que les nantis occidentaux cessent enfin de se moquer du tiers-monde comme du quart...
Mais certains d’entre nous, comme mon amie Lucia, loin d’attendre les bras croisés le fameux « quand les poules auront des dents »,  agissent sans se payer de mots. J'en suis profondément admirative, j’aimerais avoir ce courage.

Célestine






3 commentaires:

  1. Une petite merveille de délicatesse...je parle des mots bien sûr, mais aussi du cœur...
    Merci, Célestine !

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    1. Merci chère Licorne !
      Le sujet m'a bien plu, comme tu vois.
      ¸¸.•*¨*• ☆

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  2. Très beau et délicat portrait. Merci

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